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Le préparateur physique, cet homme de l'ombre au rôle fondamental

Il ne vous a pas échappé que la dimension athlétique est de plus en plus prépondérante en tennis depuis une vingtaine d'années. On parle pourtant peu de ceux qui oeuvrent en coulisses pour développer le potentiel physique des sportifs, on connaît souvent le nom d'un coach, pas celui d'un préparateur physique. A l'AFT, que ce soit dans la formation ou avec les jeunes pros, on sait leur rôle fondamental. Plein feu sur ces hommes de l'ombre, qui parlent de leur métier.

Une lignée AFT

Des préparateurs physiques dans le tennis francophone on n'en connaît pas tant que ça. Malheureusement, à quelques exceptions près, comme celle de Jonas Wallens chez Justine Henin, peu de clubs ont les moyens ou la structure pour s'en attacher un full time, même dans les écoles de tennis performantes, à moins que le joueur ne s'investisse à titre personnel. C'est d'ailleurs un des nombreux intérêts des rassemblements hebdomadaires (mercredi à Huy, samedi à Mons) pour les "moins de 12 ans" sélectionnés dans les clubs par l'AFT, Vincent Devos leur permettant d'y bénéficier des outils physiques correspondant à leur âge, psycho motricité, coordination, éducation santé. Autant il ne faut jamais oublier que s'amuser reste prioritaire dans une tête d'enfant, autant on a réalisé au fil des années à quel point le travail athlétique adapté était essentiel dans la formation de jeunes talents qui grandissent. Avec le recul, dans l'héritage et la continuité, on peut parler de véritable lignée de préparateurs physiques "made in AFT" en commençant par le regretté Guy Namurois, qui a inspiré toute une génération, et le pionnier Patrick Meur, qui a à peu près tout vécu depuis 1996 - avec en cours de route l'appoint précieux de Matthieu Buelens ou de Vincent Devos. C'est également "Pat" qui, à l'heure de la retraite, a recommandé Fabien Bertrand - alors chez Justine Henin, aujourd'hui au côté de David Goffin - lequel a fait de même plus tard avec Alexandre Blairvacq, rejoint cette année par Sébastien Sarrazin. Les deux derniers cités sont à présent aux manettes, le premier avec le "Team Pro", le second au sein du Tennis Etudes, mais ils sont aussi interchangeables que nécessaires. Toujours la continuité. 

"Pas trop de deux"

Alexandre Blairvacq a donc pris le relais de Fabien Bertrand au moment où ce dernier s'est de plus en plus impliqué sur le circuit avec David Goffin. Alex, qui n'a pas la trentaine, est titulaire d'un diplôme européen en préparation physique obtenu à Lyon. "Mon stage je l'ai justement accompli avec Fabien, qui m'a formé et transmis ses valeurs. J'ai aussi accompagné Steve Darcis lors d'un séjour à Abu Dhabi, et quand l'AFT a recruté, j'ai logiquement fait acte de candidature." Sébastien Sarrazin est arrivé plus tard, au coeur du premier confinement. Un peu plus âgé, il a déjà pas mal roulé sa bosse entre les cours donnés à l'ULB, dont il est diplômé, ou au Parnasse à Woluwe, un job à l'Adeps pour le sport de haut niveau, notamment comme référent tennis, des collaborations avec Philippe Dehaes, Maryna Zanevska ou d'autres, et la préparation physique du Léopold Club champion de Belgique de hockey. "Au moment où j'ai appris que le staff fédéral, en pleine restructuration, cherchait quelqu'un, j'ai senti l'appel du terrain", confie-t-il. "Il n'était pas évident de commencer à travailler alors que le pays était à l'arrêt, mais je me suis vite rendu compte que le boulot ne manquerait pas, entre les communications quasi quotidiennes avec les jeunes, les plans et programmes individualisés à mettre au point pour le "Team Pro" et le Tennis Etudes sans savoir quand on pourrait rejouer, les visioconférences une à deux fois par semaine pour conserver un contact visuel ou entretenir le moral des troupes, on n'était pas trop de deux pour garder en mouvement, et si possible en forme, ces filles et garçons privés de tennis et cloitrés à la maison." 

"A Mons, on travaille normalement"

Q. Avec deux confinements en un an, on est dans le "hors normes", et on espère ne plus jamais revivre ça, mais le second est quand même un peu différent du premier, non ?

Alexandre Blairvacq : Pour le joueur de tennis lambda, pas vraiment. Pour nous, oui. De mars à juin, seuls trois tennis(wo)men francophones, David Goffin, Ysaline Bonaventure, Joachim Gérard, étaient autorisés à s'entraîner sur notre territoire, et uniquement au Centre de Mons. Tous les autres devaient rester chez eux, confinés. Seuls les voyages essentiels étaient autorisés. On devait faire notre job à distance, en tenant toutes les données à jour mais sans être sûrs d'être suivis à la lettre par tous. Globalement, cela s'est plutôt bien passé. On les a retrouvés en bonne condition, mais accusant un peu le coup psychologiquementn . On sous-estime souvent l'impact du mental sur le physique. Déjà, avec ce deuxième confinement, on n'est plus dans une période où normalement la compétition bat son plein, mais dans des semaines consacrées à la préparation hivernale. On peut se déplacer à peu près comme on veut, et le nombre d'élites haut niveau autorisées à s'entraîner, par arrêté royal, a été élargi aux jeunes pros et aux meilleurs juniors, tandis que le Tennis-Etudes peut continuer à fonctionner. Du coup, hormis le fait que tout le monde se retrouve obligatoirement à Mons, ce qui a aussi ses avantages, on travaille normalement. 


 

"Ne pas se mettre dans le dur"

Q. En tant que professionnel, vous auriez un conseil à donner à l'amateur de tennis privé de son sport durant trois mois ?

Alexandre Blairvacq :  Se maintenir en forme, faire un peu de sport tous les jours, c'est bon pour le mental surtout quand on télétravaille, mais éviter l'excès comme certains qui en ont fait trop lors du premier confinement pour tuer l'ennui. Quand on n'a pas l'habitude, ou les bonnes corrections, on risque pas mal de blessures. Je conseille de rester sur des choses simples et raisonnables, de petites sorties, de la course à pied, du vélo (même d'appartement)... je ne dirais pas aux gens de se mettre dans le dur, d'autant qu'avec le virus il vaut mieux éviter d'être vulnérable.

Sébastien Sarrazin :  Idéalement, je dirais d'en profiter pour travailler plus de choses, en termes de prévention, de bagage physique, ce que l'on n'a pas toujours l'occasion de faire par manque de temps, mais à condition d'être guidé par quelqu'un de compétent, pas de manière empirique, avec le papa qui se prend pour un coach ou le garçon qui se prend pour Goffin, il y a un gros danger de faire pire que mieux.
"Le talent seul ne suffit plus"

Q Votre métier est un de ceux qui a le plus évolué dans le sport au fil des années, perpétuellement en mouvement. Les avancées athlétiques, scientifiques et technologiques sont impressionnantes. Quand on pense qu'au début de l'AFT, on jouait au foot en guise d'exercice physique; une époque qu'ont encore connue Thierry Van Cleemput et Steve Darcis...

Sébastien Sarrazin : On n'est plus au temps du bricolage - bien qu'au vu des résultats c'était parfois très bien fait - et un tennisman jouant sur un talent inné sans trop bosser ne pourrait plus réaliser le même genre de carrière aujourd'hui. En même temps les bases restent les mêmes: surcharger le corps, sortir de sa zone de confort, c'est la seule manière de progresser. Il n'y a toujours pas 10.000 façons de préparer un sportif physiquement et je reste personnellement favorable à la pratique d'autres sports pour développer certaines aptitudes physiques. Aujourd'hui, les progrès continus de la science et de la technologie permettent d'avancer, d'améliorer, d'affiner de manière plus spécifique, sur tous les plans: médecine, kiné, matériel, technologie, tests, contrôles, appareils. Il n'y a plus de performance sans préparation physique adéquate. On fait le même métier, Alexandre et moi: renforcement, musculation, prévention, mobilité, cardio, stretching. La différence c'est qu'avec des athlètes formés on peut aller très loin alors qu'au Tennis-Etudes, s'il y a du physique au programme tous les jours, on a plus un rôle éducationnel avec des jeunes en pleine croissance. On doit tenir compte de l'âge, du développement corporel, il y a des précautions à prendre, des charges à ne pas supporter. Deux gars ou filles de 14 ans n'ont pas forcément le même âge biologique. 



"Se mettre à jour en permanence"

Q. Dans un secteur où tout évolue sans cesse, on fait comment pour suivre tout en travaillant ?

Alexandre Blairvacq : En lisant la littérature spécialisée, en discutant avec les collègues, en recherchant dans ce qui émerge des études ou des labos universitaires ce qui pourrait être utile, en se renseignant sur ce qui se fait ailleurs, en Europe ou aux Etats-Unis, dans le sport de haut niveau, pas seulement dans le tennis, il faut se mettre à jour en permanence. On a aussi l'avantage d'avoir des gens qui ont vécu et pensé le top niveau. Chez nous, chaque jeune a son profil, son "screen", établi conjointement par le médecin, le kiné, le préparateur physique et l'entraîneur tennis. On est entré dans le moment de l'année où l'on est un peu plus à l'aise dans notre job, où l'on peut penser un travail de fond pour le "Team Pro" (plus Ysaline Bonaventure, dans l'attente d'un nouveau coach), où l'on peut planifier par blocs de plusieurs semaines, reprendre les bases, développer la force et augmenter les paramètres physiques, puis mettre l'accent sur la puissance et la vitesse avant la reprise de la compétition. Un mélange de démarche collective, du genre circuit training, et individuelle, les besoins, points faibles et parties du corps à privilégier étant différents selon les cas. Une combinaison aussi avec la partie tennis proprement dite. On est là pour s'adapter aux qualités de la joueuse ou du joueur et l'amener dans les meilleures conditions pour performer. L'avantage des trois mois sans tennis du printemps est qu'ils n'ont pas fini la saison écoeurés par la raquette. 

"Des grands qui bougent comme des petits"

Q. Sur internet, on présente aujourd'hui le champion de tennis comme un "monstre physique, parce que ce sport est un travail permanent de fractionnés, sans oublier la partie haute qui fait la puissance de frappe", d'accord avec ça ?

Sébastien Sarrazin : Bien sûr. Il y a 30 ans, c'était un joueur de tennis, maintenant c'est un athlète, un des sportifs les plus complets. C'est phénoménal ce qu'ils sont capables de faire. Même David Goffin est un "monstre physique" dans son genre, en termes de vitesse, d'explosivité, de coordination. Il y a aussi de plus en plus de grands dans le tennis. Quelqu'un a dit il y a plusieurs années que l'avenir appartenait aux joueurs d' 1 m 95 qui bougent comme ceux d'1 m 75. Combien de gars du top mesurent moins d'1 m 85 aujourd'hui ? Même chez nous, on a fait des projections de taille au Tennis-Etudes. Il n'y en a pas un en dessous d'1 m 80 et il y en a deux ou trois autour d'1 m 90.
 

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