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La pédagogie du tennis ou le Roseau pensant

Dans la belle banlieue bruxelloise, où la concurrence est vive, parfois même prestigieuse, l'aventure du Roseau mérite que l'on s'y arrête. Elle est la fierté d'un homme, Tarek Francis, qui a imprégné le club des valeurs auxquelles il croit, y cultivant un projet pédagogique qui lui tient à coeur. Entrepreneur multi casquettes, avec son associé français Eric Flament, il a largement contribué à transformer un club à la dérive fin des années 90 en une réussite socio-sportive forte d'un millier d'affiliés et digne du label de qualité souhaité par l'AFT et BNP Paribas Fortis.

Une petite PME sportive

Il fait tout au plus trois degrés au dessus de zéro lorsque nous empruntons la rue du Roseau à Uccle, jouxtant la réserve naturelle du Kinsendael. En descendant de voiture, dans la verdure hivernale, on se pincerait presque, c'est bien un bruit de balle et le son d'un échange de tennis que l'on entend, en plein confinement. Derrière les arbres, on découvre qu'ils sont, en effet, quelques un(e)s à braver la froidure, en pull et "survet", pour pratiquer leur sport coûte que coûte. Après tout, jadis, ne jouait-on pas au basket dehors à cette époque de l'année, quitte parfois à devoir casser la glace ? "A chaque chose malheur est bon, oui, on a rouvert les courts extérieurs, on loue à l'heure, et on a un gros taux de fréquentation", dit Tarek Francis, "il faut bien sûr qu'il n'y ait pas trop de gel et que les terrains soient en bon état, mais ça joue." L'homme, 53 ans, vit à l'heure du Roseau depuis 1997, et bien sûr il n'avait jamais été confronté à la période inédite que l'on connaît tous aujourd'hui. "On a pu organiser les stages en été, cela nous a sauvés, et l'indoor fonctionne pour les moins de douze ans, mais il ne faudrait pas que cela dure encore six mois", résume-t-il. Avec son associé Eric Flament - un ancien... rugbyman français installé à Bruxelles, son fils Thibaut joue en équipe fanion au Stade Toulousain -, notre homme se trouve à la tête d'une petite PME sportive multi-activités, gravitant autour du Roseau, qui compte une cinquantaine de collaborateurs gérés par un staff administratif sous la supervision de Gena Saru. En venant d'à peu près nulle part, dans un environnement où les capacités d'accueil du genre sont nombreuses, cela ressemble à une vraie réussite.

"Habité par l'apprentissage du tennis"

Avant de changer radicalement de voie en l'orientant vers le sport, c'est dans le secteur informatique que Tarek Francis a entamé sa carrière professionnelle. Vingt ans après, parallèlement à son engagement dans le tennis, il a d'ailleurs utilisé l'expertise acquise à l'époque en créant la société IClub. Initiée au Roseau, cette dernière a, depuis, fait son chemin dans le monde du tennis et au delà. "On gère par exemple toutes les infrastructures de la ville de Bruxelles, et il y a même de l'intérêt en provenance de France", dit-il. "Le costume/cravate, l'informatique pour l'informatique, j'en ai eu marre à 27/28 ans et je m'étais juré de ne jamais y revenir, mais IClub est cohérent avec la direction que j'ai prise, cela apporte un "plus" sur le plan sportif". On n'est pas étonné qu'une telle initiative puisse être plus rentable que l'achat d'un club de tennis, mais est-elle pour autant plus enrichissante ? "Le fil rouge c'est la passion, et ma passion c'est l'enseignement, le projet pédagogique, je ne prétends pas tout savoir, je n'ai pas un grand passé de tennisman, mais je suis habité par l'apprentissage du tennis. Et disons que l'on peut en vivre mais que l'on n'y fait pas fortune. Lorsque j'ai décidé d'acheter le club il y a 14 ans, je l'ai fait pour avoir une totale indépendance. A l'époque, j'avais avec moi deux personnes que je connaissais bien, plus une troisième, un ex-judoka/rugbyman français dont j'ignorais à peu près tout, et c'est avec ce dernier que je me suis finalement lancé un mois plus tard. Même si le projet était déjà sur les rails, c'était risqué, j'avoue qu'on a transpiré pendant quelques années pour faire en sorte que l'aventure tienne la route."

"Le projet et l'équipe font la différence"

Lorsqu'après avoir travaillé dans des clubs bruxellois, et même quelques mois au Liban son pays d'origine, notre homme a débarqué au Roseau, inspiré par une rencontre avec le père du mini tennis en France, Jean-Claude Marchon (le Jean-Pierre Collot hexagonal), tout était à (re)faire. Dans la commune de Belgique, et même d'Europe, comptant le plus de courts par habitant, "les élèves avaient déserté l'école de tennis dont je suis devenu à la fois le moniteur et le responsable, j'ai donc poussé la porte au bon moment pour y développer le projet que j'avais en tête. Je me souviens qu'on a crié au fou, je ne voulais pas faire la même chose que les autres, je me suis concentré sur les enfants de moins de neuf ans et sur les adultes débutants, en appliquant les principes du mini tennis. Oui, même pour les plus âgés, d'abord surpris en voyant les balles de couleurs et les petites raquettes, puis conquis pour la plupart. On peut apprendre à n'importe quel âge avec la pédagogie adaptée. Si, chez nous, Alain Carlier dynamise le secteur, c'est d'ailleurs un des rares stages que j'ai encore donné moi-même ces derniers temps (sourire). A l'époque, je suis également allé voir les écoles, en offrant des initiations, aucun club ne faisait ça. Aujourd'hui, beaucoup de ces jeunes - Sébastien Jacobs, Bruno Gilles, Najib Haniche, Vittorio Steffani, Kevin Francis,  Laurent Hauwaert, j'en oublie sûrement - sont toujours dans le club, parfois en famille à l'image de Manon, Samuel et Fanny Pire. La plupart sont devenus mes copains, ont fait de belles études, sont classés au minimum "-15", certain(e)s sont initiateur(trice)s, moniteur(trice)s. Et le Roseau s'est petit à petit développé pour compter aujourd'hui un millier de membres, dont à peu près 600 jeunes. Il s'est étendu jusqu'au Dieweg à un kilomètre du site, offre quinze courts dont six couverts, aligne 53 équipes en interclubs (grâce soit rendue à notre juge-arbitre Thomas Mathot), profite de responsables tennis comme Olivier Tricot ou Johan Bonato en poste depuis longtemps, de spécialistes de la pédagogie, d'instituteurs, de profs d'éducation physique, tous diplômés AFT, comme Tanguy Van Exter, Théo Gogos ou Lauranne Cartrysse. Le club organise aussi des formations complémentaires de celles de la fédé avec des enseignants étrangers - le Français Olivier Letort, créateur du concept d'apprentissage Tennis Cooleurs vient chaque année - et participe à une structure de formation continue pour enseignants ou dirigeants de clubs. Selon la même philosophie, il propose des activités multiples pour toute la famille, foot, danse, rugby, gym, judo, escalade, centre de fitness, cardio-tennis (dont je suis formateur à la fédé)... j'aimerais là aussi citer pêle mêle Fabrice Didion, Cédric Van Helleputte, Wahid Hafidi, Odilon Boni... parce que si le cadre et les infrastructures sont importants, c'est le projet et l'équipe qui font toute la différence."

Une cellule haut niveau autour de Marina Zanevska

Féru de préparation mentale, formé à la PNL (programmation neurolinguistique) et inspiré par les travaux d'Eric Medaets, ne jurant que par "la démarche qualité", Tarek est-il tout autant obsédé par le haut niveau ? "Oui et non", dit-il, "je prône l'éducation par le sport, le plaisir par le jeu, mais j'ai toujours cherché à créer un environnement qui incite à la compétition. Je me souviens avoir offert deux heures de mon temps, et d'entraînement bonus, chaque semaine le samedi matin de 7 à 9 h à des jeunes que je sentais en demande de tennis pour les inciter à en faire plus. Une école ne peut pas être qu'une machine à cash, sinon elle manque complètement son but. En même temps, j'estime que, dans un club, ce n'est pas l'esprit hyper compétitif qui doit primer. J'oserais dire que si, par miracle, la fédération héritait de dix millions à investir elle ne devrait pas les injecter que dans le haut niveau. Il reste tellement à faire à la base de la pyramide pour qu'il y ait plus de joueuses/joueurs de tennis, donc plus de compétiteur(trice)s, donc plus de candidat(e)s haut niveau. Dans notre club, une soixantaine de jeunes font de la compétition, et si l'un(e) ou l'autre est repéré(e) par la fédération, on en discute avec les parents, on les encourage. Dans l'ensemble et jusqu'à un certain point, je suis  assez favorable à ce qu'ils restent plus longtemps en club, tant que le projet pédagogique est bon - Gasquet l'a fait jusqu'à 15 ans -, mais chaque cas est particulier." Avec l'arrivée de Marina Zanevska - coachée par Geoffroy Vereerstraeten, un pur produit local - et de Clara Vlasselaer, le Roseau vient d'ailleurs de mettre sur pied sa propre structure haut niveau. "2021 sera l'année des filles", sourit Tarek, "j'espère qu'elles en tireront profit, de la plus jeune à la plus expérimentée. Du coup, on va aussi faire une bonne équipe féminine en interclubs. Mais ce n'est pas notre seul projet. Malgré la "conjoncture", on va encore essayer d'investir dans les infrastructures, ajouter des courts, des terrains couverts, du padel, refaire le bâtiment qui date de 1950, les vestiaires, les sanitaires, agrandir le club-house et les terrasses, les demandes de permis devraient rentrer pour Noël." Une autre manière d'aborder les fêtes, puisque la plupart des autres nous seront interdites.
 

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