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Julien Cagnina : "Ce qui m'est arrivé est peut-être un mal pour un bien"

"J'ai grandi, j'ai mûri", assure le Liégeois de 23 ans à la veille de reprendre la compétition en Floride (encore trois tournois Future 15.000 dollars) après six semaines de préparation hivernale. Julien Cagnina, présenté comme un des grands espoirs de notre tennis en catégorie jeunes et qui n'a pas vraiment confirmé sur le circuit adulte - également handicapé par pas mal de blessures, il faut le dire -, essaie de rattraper le temps perdu, désormais basé à Aix-en-Provence où il s'entraîne avec Lionel Zimbler qui a notamment coaché les Top 50 français Saulnier, Santoro, Benneteau, Mahut, Mathieu et Paire. Nous avons pu en discuter sans langue de bois avec les deux hommes. Entretien.
 

Q. Julien, vous sortez d'une bonne année 2017 que vous avez fini 262e mondial alors que vous étiez retombé très bas au ranking mondial, vous avez remporté sept tournois Future, mais on vous attend à présent dans des rendez-vous plus cotés comme les ATP Challengers, quels objectifs vous êtes-vous fixés pour 2018 ?

R. Ce n'est pas si simple. Avec mon classement, je n'entre pas encore en ligne de compte dans tous les tournois, même en qualifications, je recommence relativement "en douceur" sur la terre battue américaine, mais l'objectif est effectivement de faire plus de Challengers, et pour quelqu'un qui, comme moi, aime la brique pilée ce serait déjà super dans un premier temps d'être classé en ordre utile pour participer fin mai aux qualifications de Roland Garros. Il y a plus de deux ans que j'y pense (il fut déjà 255e mondial à tout juste 21 ans, ndlr), entretemps j'ai connu mon problème à l'épaule, je dois gagner autour de 40/50 places, et je n'ai que 22 points à défendre d'ici début avril. Mais ce que j'espère avant tout, c'est une saison sans blessure.

Q. En quoi consistait cette blessure à l'épaule, un problème morphologique de naissance ?

R. Pour une part. C'est ce qu'on appelle un SLAP, en gros un "bec" dans l'articulation, le tendon qui frotte et s'enflamme. Pour arriver 255e mondial fin de l'été 2015 j'ai beaucoup joué, je me suis occasionné une tendinite, j'avais mal au coude, et par la suite cela a eu des répercussions dans l'épaule. J'ai même entendu qu'elle n'était peut-être pas faite pour le haut niveau, j'ai pris un grand coup sur la tête, je n'ai pas joué durant une demi année, je dois toujours me soigner et réaliser un travail spécifique au quotidien, mais je n'ai plus rien senti de ce côté-là depuis six mois, je croise les doigts.

Q. Comment êtes-vous arrivé à Aix-en-Provence ?

R. En Belgique, je me sentais seul. Je suis d'abord allé en Allemagne chez Bjorn Phau, j'y étais bien, mais il a ouvert son académie à Francfort, et c'était quand même loin. Enzo Couacaud (un Français d'origine mauricienne, ndlr) m'a alors parlé d'Aix, de la Provence Tennis Académie, de Lionel Zimbler, j'y suis allé pour un test, et j'y suis resté. On forme un petit groupe avec Enzo, qui a été accablé par des blessures lui aussi, et Antoine Hoang, c'est là que je m'entraîne et que je réside le plus souvent quand je rentre de tournois, j'y habite une maison que l'on me prête, l'homme d'affaires liégeois Laurent Minguet m'aide financièrement dans mon projet, pour les entraînements et les voyages, comme il le fait aussi pour Ysaline (Bonaventure), je ne roule pas sur l'or et il faut faire attention au budget, mais en même temps j'ai de la chance, c'est comme tombé du ciel, sans cela je n'y arriverais pas.

Q. Vous avez l'impression d'avoir progressé là-bas ? 

R. Certainement. Physiquement, mentalement, tennistiquement c'est meilleur et plus fort qu'il y a deux ans, je sais que je dois faire évoluer mon jeu vers l'avant sinon cela ne passera pas. On a beaucoup travaillé à l'entraînement, mais ce qui compte c'est la mise en place en match, et c'est le plus compliqué. On a raconté beaucoup de choses par le passé, plus ou moins justes, il y a eu des incompréhensions, je n'en veux à personne, devoir m'assumer est finalement un mal pour un bien, cela me fait grandir, mûrir, j'ai découvert ce nouvel environnement qui m'apporte plus de confiance, d'équilibre, changer de mentalité n'est pas si simple quand on a été mis en avant depuis tout petit, que l'on se retrouve comme une "star" trop jeune... ça avait l'air facile, on avait une belle génération à Mons qui se voyait déjà Top 50, lorsqu'on s'aperçoit que la réalité du circuit adulte est toute autre on se retrouve un peu perdu. 

Q. Vous n'avez encore que 23 ans...

R. ... Que, ou déjà, c'est comme on voit les choses.


Lionel Zimbler : "Tous les jours je le vois faire plus d'efforts"

L'entraîneur de Julien, Lionel Zimbler, est un homme expérimenté, qui a quadrillé le haut du circuit durant des années, et qui en matière d'"enfant terrible" en connaît un rayon pour avoir coaché l'imprévisible et talentueux Benoît Paire. Il n'a pas laissé au Liégeois beaucoup d'illusions lors des premiers tests au soleil de Provence. "Au risque de le vexer - ce qui fut un peu le cas (sourire) -, je lui ai expliqué que ce qu'il croyait suffisant ne l'était pas, et même qu'il était moins fort au départ que les principaux joueurs j'ai entraînés", dit-il, "parce que le talent c'est vite dit, mais c'est quoi en tennis sinon les coups qui font mal à l'adversaire ? Benoît Paire possède un service, un revers à deux mains susceptibles de le sauver contre (à peu près) n'importe qui, et un physique de tennisman moderne. Or, le Julien que j'ai vu arriver relevait de blessure, pouvait compter sur quelques qualités en coup droit, une certaine explosivité, mais était frêle et manquait de puissance, avec des filières de jeu exigeant une très grande stabilité mentale, vu le manque de points gratuits, or ce n'était pas exactement son point fort. En plus, ce n'est pas encore un joueur multi-surfaces, même s'il peut le devenir."

Q. Votre impression générale ?

R. J'avais le sentiment d'avoir devant moi quelqu'un qui avait appuyé sur le bouton pause au niveau développement, objectifs, travail, sérieux, durant trois ou quatre ans, bref qui avait pris du retard, qui avait été un petit "roi" avant l'heure et dont l'ego ne correspondait pas à ce qu'il était capable de produire sur le court. Cela n'a rien d'exceptionnel, j'ai connu nombre de cas semblables en France. Le temps perdu ne se rattrape pas... en même temps il n'est jamais trop tard si on le veut vraiment. On est reparti d'une feuille blanche. Il a réalisé une bonne saison, il doit à présent viser le Top 180/220 pour avoir accès aux "qualifs" de Grand Chelem et aux tournois Challenger, mais c'est maintenant que l'entonnoir se resserre, et pour tout dire cela me paraît beaucoup plus dur qu'il y a cinq ou six ans, il y a moins de Challengers, moins de possibilités d'aller dans les "qualifs" de Grands Prix, c'est de plus en plus fort, il faut avoir l'état d'esprit combattant, c'est déjà mieux de ce point de vue mais pas encore suffisant.  

Q. Quelle marge de progression lui voyez-vous ?

R. Il n'a pas moins d'atouts que des joueurs du Top 100 que j'ai connus. On a fait une préparation hivernale foncière de six semaines correcte sans trop de problèmes, mais quand on augmente la charge et qu'on n'y a pas été habitué il ne faut pas aller trop vite ou trop fort non plus, c'est risqué, on n'évite d'ailleurs pas les petits pépins, séquelles d'une ancienne opération au poignet par exemple, rien de grave, on a géré avec l'aide du Dr Joris à Liège. On a aussi travaillé le service, ce qu'il n'avait guère pu faire auparavant, entre autres à cause de son épaule, on va voir comment cela se traduira dans ses "stats", il faudra peut-être attendre un peu avant que tout cela porte ses fruits. Dans l'ensemble, c'est d'ailleurs un projet à assez long terme, je dirais pas avant 25/26 ans pour le Top 100 s'il continue à bien évoluer. Je vais le suivre personnellement sur le circuit une quinzaine de semaines par an, mais c'est lui qui a les cartes en mains. Il est sur la bonne route, mais c'est une route longue et difficile, il a peut-être fait un quart du chemin. Pour essayer de répondre à votre question, il a encore certainement 20 % de marge au niveau physique, 20/25 % au niveau mental, tactique, humilité, il doit encore améliorer service et retour, comme il le dit dans ses axes de développement il doit être plus conquérant et porté vers l'avant. Ici, loin de chez lui, il n'y a personne sur qui rejeter la faute, ou pour lui dire qu'il est le plus beau, le plus fort, c'est à lui de prouver ce qu'il a dans le ventre, de se montrer responsable, de se prendre en charge. Je sens qu'il essaie vraiment de s'améliorer, il est en pleine évolution, tous les jours je le vois faire plus d'efforts, surtout au niveau de son attitude, il mérite qu'on lui donne encore sa chance.
 

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