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Bertrand Tinck, l'entraîneur de Zizou Bergs : "C'est clairement un déclic, mais il en faudra d'autres"

Bertrand Tinck est un cas unique. Cet entraîneur nivellois présente la particularité d'avoir travaillé durant neuf ans au Centre de formation AFT de Mons et durant sept autres dans celui de Tennis Vlaanderen où il s'occupe notamment du jeune Limbourgeois Zizou Bergs (21 ans) qui vient de remporter deux tournois Challenger (Saint-Pétersbourg et Lille), progressant de 174 places (de la 436e à la 262e) au ranking mondial en trois semaines.

Avec David Goffin de 15 à 18 ans

Quand nous l'avons contacté, il était en Tunisie. Après avoir assisté jusque dimanche Zizou Bergs dans sa belle aventure lilloise, Bertrand Tinck a pris l'avion pour Monastir où l'autre jeune pro qu'il entraîne à Tennis Vlaanderen, le prometteur Tibo Colson longtemps victime de blessures en cascade, disputait les qualifications d'un tournoi 15.000 dollars au tableau final duquel figure Gauthier Onclin. Les récents résultats de Zizou (un prénom qui ne pouvait que résonner Outre Quiévrain), pour rappel quinze matches gagnés sur les seize derniers disputés, méritaient que l'on en parle avec un coach que l'on devine heureux, "mais avec tout le recul nécessaire", s'empresse-t-il de préciser. Lorsqu'il a quitté l'AFT - "j'y ai travaillé avec David Goffin lorsqu'il était junior, entre 15 et 18 ans, je l'ai fait par la suite aux mêmes âges, à Wilrijk, avec Zizou Bergs" -, Bertrand a très vite été récupéré par Johan Van Herck de l'autre côté de la frontière linguistique. Il ne parlait pourtant pas un mot de néerlandais. "J'ai suivi un stage de langues, j'ai pris des cours du soir", sourit-il, "pour le reste, la mission est la même qu'à Mons. Elle est universelle: faire progresser le joueur dont on a la charge." 

Sensation anversoise

Lorsqu'il est devenu pro, Bergs a d'abord été coaché par Van Herck himself. Il a également vécu des moments plus sombres lorsqu'il s'est blessé aux deux chevilles, s'interrogeant même sur son avenir tennistique, avant de se relancer durant trois mois dans une académie du côté de Barcelone, lui qui est désormais soutenu dans son développement par la société Tennium de Kristoff Puelinckx qui organise notamment l'European Open d'Anvers. "Il y a un an que je m'occupe à nouveau de lui", continue Bertrand Tinck. On s'en souvient, en octobre dernier, le jeune Limbourgeois (21 ans) a justement fait sensation lors de ce tournoi d'Anvers en éliminant le 45e mondial Albert Ramos-Vinola et en prenant un set à Karen Khatchanov. Il vient de confirmer l'embellie sur le circuit moins prestigieux qui est son lot quotidien, et c'est souvent le plus difficile. Une bonne nouvelle pour le tennis belge.

"Ne pas sous-estimer ce genre de tournoi"

Q. Bertrand, si on se fait l'avocat du diable, il aura donc fallu cinq mois pour que Zizou propose au quotidien le tennis entrevu à l'European Open, on commençait un peu à désespérer.

R. Je ne suis pas d'accord. Anvers c'était médiatique, les projecteurs se sont braqués sur lui, et il s'est rendu compte qu'il pouvait jouer contre des joueurs de ce niveau-là, voire les battre. Je me souviens d'ailleurs qu'il y a quatre ans, à dix-sept ans donc, il avait déjà eu balle de match contre Pierre-Hugues Herbert. Mais une carrière de tennis se construit onze mois sur douze, sept jours sur sept. Après Anvers, il a gagné un Future à Bratislava et joué une demi-finale en France, à Bressuire, dans un contexte relevé. Personne n'en a parlé, pourtant il ne faut pas sous-estimer ce genre de tournois. Il y a des gars qui jouent très bien même si, qualitativement, la densité est plus grande en Challenger. Cette année, il a été éliminé au premier tour en Egypte, après avoir eu cinq ou six balles de match, par un joueur monégasque qu'il a ensuite battu en quart de finale à Saint-Pétersbourg. 

"Autant de points que s'il avait remporté 13 Futures"

Q. On peut donc parler de déclic ces trois dernières semaines ?

R. Je crois qu'on peut dire qu'il a franchi un palier, oui, parce qu'il ne s'agit pas d'un "one shot" qui a bien tourné, il a confirmé. Mais il lui faudra encore en franchir beaucoup d'autres (sourire). Il a d'autant mieux tiré son épingle du jeu qu'à Saint-Pétersbourg comme à Lille, il ne savait pas avant d'y aller s'il pourrait même entrer dans le tableau de qualifications. Surtout en Russie... Se rendre là-bas sans avoir la certitude de pouvoir y jouer s'apparentait à un coup de poker risqué. Et à Lille sans le forfait de Lucas Pouille pas de tournoi. Du coup, c'est vraiment top ce qu'il a réalisé. Se confronter à l'incertitude, profiter du coup de pouce, gagner deux fois sept matches en une semaine face à des joueurs mieux classés que lui, fallait le faire ! Tout le mérite lui revient, et il en est récompensé. Jouer des ITF15.000 dollars c'est ingrat, on ne gagne pas beaucoup de points ATP, c'est compliqué d'avancer au classement - surtout "gelé" par la Covid - et donc de pouvoir accéder aux qualifs de Challengers, c'est comme un cercle vicieux. Là il vient d'accumuler 130 points en deux tournois, autant que s'il avait remporté 13 Futures ! 
 
"Il faut du temps pour mettre en place ce type de jeu"


Q. En quoi trouvez-vous qu'il a le plus progressé ?

R. Peut-être dans la gestion de ces tournois. Il a su trouver un bon compromis entre son naturel offensif, fougueux, et le fait d'être plus solide, de mieux construire quand il le faut. Quand je l'ai retrouvé il y a un an, j'ai insisté sur ce tempérament d'attaque qui le pousse vers l'avant, qu'il avait étant jeune et qu'il avait un peu perdu en route.  Je pense qu'on a toujours intérêt à partir de l'ADN d'un joueur, même si dans son cas le risque était qu'il y aille trop. Il faut du temps pour mettre en place ce type de jeu, pour aller vers plus de maîtrise, âge et maturité aidant. En demi-finale et en finale, il a été mené deux fois un set zéro à Lille. Auparavant, il se serait un peu plus dispersé, son jeu se serait effrité, là il a continué à faire son truc. Il est resté calme, avec beaucoup de cran et une super énergie. C'est lui qui a provoqué, qui a fait tourner le match dans son sens. L'aide du préparateur mental du Centre, Gert-Jan De Muynck, lui est également très précieuse.

Q. C'est un joueur très présent physiquement, avec un très bon service.

R. Cela fait partie de ses armes, effectivement, il ne va pas passer 30 aces comme Karlovic, mais le panel de ses possibilités au service est large, il lui permet souvent de créer l'avantage. Et c'est donc quelqu'un de tempérament offensif, fougueux, qui aime venir terminer au filet, avec une bonne volée et un coup droit qui permet de prendre le point à son compte.

"Ne nous emballons pas... à une époque on avait quatre Top 100"

Q. Après ces quelques semaines qu'il qualifie lui-même d'"incroyables", quel est son programme ? L'objectif désormais ce sont les qualifications de Roland Garros ?

R. On part sur trois semaines de préparation à la terre battue. Je suis curieux de voir comment il va pouvoir s'adapter tout en gardant son type de jeu, avec plus de rallyes, de lift, une position plus reculée, les glissades, le tennis plus physique. En même temps il a déjà très bien joué dans le passé sur cette surface. Pour ce qui est de Roland Garros, avec son nouveau classement, il se rapproche de la porte d'entrée, c'est sûr,  mais la course aux points n'est pas dans notre politique. S'il continue à bien faire évoluer son jeu, il en jouera plein, des qualifs et des Grands Chelems. Il reste un joueur en développement, et on est là pour garder une vue globale, pour ne pas confondre boost à court terme avec cheminement à long terme. Bien sûr, pour le garçon, il s'agit d'un énorme coup de fouet, et pour nous d'un plus grand confort, d'une plus grande facilité lorsqu'il s'agit d'établir un programme de compétition puisqu'il aura directement accès au niveau Challenger, alors que c'était un véritable casse-tête jusque là.

Q. Avec les jeunes qui pointent, francophones et néerlandophones, peut-on espérer de bonnes nouvelles dans les années qui viennent ?

R. On verra si Zizou, Tibo (Colson), Arnaud (Bovy), Gauthier (Onclin) ou Raphaël (Collignon) pourront faire une petite carrière, et à quel niveau. Il y a des jeunes et c'est bien, mais avant de s'emballer il faut se souvenir qu'à une époque on comptait quatre joueurs dans le Top 100, aujourd'hui on n'en a qu'un. J'entends dire que David (Goffin) ne réalise pas un bon début de saison... mais il a gagné un ATP 250 et fait demi-finale dans un autre. Certes, sans voir le match, je n'ai rien compris au score contre Duckworth à Miami, mais tout le monde a droit à un off day. Zizou est désormais quatrième Belge et il est 260e, la relève doit encore arriver.
 

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