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Le bilan sportif 2022 de Thierry Van Cleemput : "Beaucoup de choses ont bougé, dans le bon sens"

L'année touche à sa fin. C'est l'occasion d'en dresser le bilan avec le directeur technique de l'AFT Thierry Van Cleemput, de la réalité du terrain à la politique sportive, des plus grands aux plus petits, des pros aux enfants. Entretien.

Q. Thierry, Ysaline Bonaventure dans le Top 100, c'est la bonne surprise 2022 ?

Th.V.Cl. Certainement, même si tout le monde l'en savait capable. Pour moi, Top 100 ne veut rien dire. On peut être 110 et être une très bonne joueuse, tout dépend de la concurrence, du niveau de celles qui sont devant. C'est un symbole que l'on se met dans la tête, je ne sais pourquoi. Ce qui compte c'est qu'elle ait battu de bonnes joueuses du Top 50, qu'elle accède directement au tableau final d'un Grand Chelem. Tant qu'elle est conseillée par l'AFT, en collaboration avec son coach Hugo Guerriero, elle ne peut se satisfaire d'avoir passé ce cap symbolique et d'en être contente, elle doit s'en servir pour être beaucoup plus ambitieuse. Je dois souligner aussi que Maryna Zanevska, qui avait réalisé une très bonne fin d'année 2021, a su confirmer et maintenir un niveau correct, dans des conditions pas toujours simples, tout en prenant un peu plus d'expérience en Billie Jean King Cup.

Q. Vous qui l'avez entraîné sur le circuit, y voyez-vous plus clair dans la carrière de David Goffin ?

Th.V.Cl. Je suis entre deux sentiments. Je trouve qu'avec son équipe, il a pris une super initiative en allant disputer début avril le tournoi ATP 250 de Marrakech (qu'il a gagné, ndlr), ce qui lui a permis de surfer sur une vague de confiance. Le niveau était là, jusqu'à Roland Garros et Wimbledon. Peut-être cela lui a-t-il coûté beaucoup d'énergie mentalement, en tout cas il n'a pas confirmé par la suite. Je ne vois pourtant pas ce qui lui manque. Le niveau peut être là très rapidement, il est d'ailleurs là quelque part. Les résultats du printemps sont de bon augure pour 2023 qui peut le voir progresser. Il y a des trous dans sa saison, avec presque pas de points à défendre, si dans ces moments-là cela peut se mettre convenablement... Je reste en tout cas sur ma position, à 32 ans il peut encore faire de belles choses...


Q. Gilles Arnaud Bailly et Sofia Costoulas numéros un et deux mondiaux chez les junior(e)s, c'est quasi du jamais vu, non ?

Th.V.Cl. Ils sont tous les deux passés chez nous. J'ai entraîné Sofia chez Justine Henin pour la fédération. Gilles Arnaud, dont Dries Beerden s'occupe à Hasselt, a été soutenu par l'AFT ces trois dernières années, et il a réalisé une incroyable campagne 2022, confirmant son gros potentiel de manière constante, avec un titre référence, celui de champion d'Europe - 18 ans. C'est une excellente chose pour le tennis belge, et je ne veux que leur souhaiter bonne chance, car ce n'est pas une promenade de santé, nombre d'ex-numéro un juniors sont là pour en témoigner.



"Nous, francophones, devons oser mettre nos ambitions en avant"

Q. Quid des juniors faisant partie du Centre de formation AFT ?

Th.V.Cl. Là aussi, nous avons des exemples de progression avec Niels Ratiu et Emilien Demanet, surtout quand on sait qu'ils n'ont guère fait de résultats en -14 ans, et qu'ils n'étaient jamais parvenus à émerger dans les catégories de jeunes. Ils ont désormais le statut de sportif international. Niels est encore un peu dans la frustration, il a perdu énormément de matches sur des scores serrés, il lui manque encore un petit quelque chose mentalement. Emilien, lui, a tiré son épingle du jeu. Au Nouvel An, lorsqu'il entamera sa dernière année juniore, il sera parmi les 40 meilleurs mondiaux. 

Q. Emilien, justement, a fini l'année avec une victoire en Grade 2 et deux quarts de finale en Grade 1 et A, mais les deux fois il a été battu nettement par le 8e mondial russe Yaroslav Demin qui a le même âge que lui. Il a pu mieux voir ce qui lui manque encore ?

Th.V.Cl. Vous pouvez écrire que je suis aussi fâché sur lui. Il a tout pour faire beaucoup mieux encore à haut niveau. Si on dit qu'il a du potentiel, cela signifie que l'on croit en lui, mais il est encore trop gamin et timide dans la tête. C'est d'ailleurs un syndrome que nous constatons à l'AFT pour l'instant: le manque de maturité. Nous devrons en tenir compte dans notre manière de travailler, pour pouvoir évoluer. Un sportif de haut niveau est mûr et ambitieux très tôt, il a ce savoir-être tellement important. Nous, francophones, devons oser mettre nos ambitions en avant. En même temps, à l'AFT, nous avons choisi d'oeuvrer sur le long terme, une formation court au minimum sur huit ans, et, en ce qui concerne la musculation, nous sommes toujours très prudents, nous prenons du temps, nous travaillons plus tard sur la corde physique. Avec des jeunes de 17 ans à maturité tardive, qui n'ont pas pris beaucoup de muscles, on garde donc un bon bol d'air en terme de marge de progression.

Q. Avec trois ans de plus, Raphaël Collignon a réussi une belle percée sur le circuit pro cette année.

Th.V.Cl. Quand on part 900e et que l'on arrive 280e, on peut se dire que l'on a réalisé une bonne saison. Toutefois il y a encore un paquet de points laissés sur la route, alors qu'ils étaient à portée de raquette. Donc, on n'est pas en train de se dire, ça y est, on a réussi. Il reste du boulot. L'an prochain, il va falloir être ambitieux, aller chercher les points en tournois Challenger. Il en a déjà joué cinq ou six, mais il a toujours ce besoin de bien connaître le milieu, il n'est pas de suite à son aise. On peut néanmoins croire en ses qualités, je ne serais pas étonné de le voir assez rapidement parmi les 200, voire les 150 premiers mondiaux. L'objectif est le même pour Gauthier Onclin, un an plus vieux, également à son meilleur classement (ATP 337). C'est un garçon particulier, très intelligent, parfois trop cérébral. Quand on est comme ça, il arrive que l'on soit un peu négatif. Mais à chaque fois il s'adapte, il a une belle carte à jouer en début d'année sans pratiquement de points à défendre (7 exactement, ndlr) d'ici début mai, c'est une saison importante, charnière, pour quelqu'un qui peut avoir plusieurs cordes à son arc dans la vie. Il faut qu'on avance.



"On pourrait dire que nous sommes une sorte de service public"

Q. On sait que vous vous intéressez particulièrement aux plus petits, il semble qu'il y ait des résultats prometteurs, y compris féminin... enfin.

Th.V.Cl. Nous accordons une attention toute particulière au tennis des enfants, avec l'idée d'augmenter le vivier de jeunes talents. Bien sûr, on ne peut rien dire à ces âges-là, sauf que, c'est vrai, il y a de petits talents en Wallonie, des petites filles qui ont quelque chose, comme les garçons d'ailleurs, et que l'on essaie de suivre, d'aider, ceux (celles) dans lesquel(le)s on croit, tout en gardant un oeil sur les autres parce que personne ne détient la vérité. L'AFT Cup a pris son envol, c'est un bel et précieux outil, j'espère que les régions vont la confirmer. Il y a beaucoup de jeunes qui vont bien jouer au tennis. Mais qui aura les aptitudes pour devenir quelqu'un... d'anormal, quelqu'un qui sera en zone de confort dans la difficulté ? On espère toujours trouver celui ou celle qui peut aller vers le très haut niveau, mais c'est de l'ordre de l'exceptionnel. En gros, jusqu'à dix ans, on est dans le domaine de la détection, dans les clubs, avec des rassemblements fédéraux. Par la suite, on les invite à venir s'entraîner au Centre de formation de Mons, les mercredi après-midi, vendredi soir et/ou samedi, alors que le Tennis-Etudes proprement dit, en internat, commence à partir de 12 ans. Maintenant, si on ne doit s'occuper que de celui ou celle qui a tout, on peut fermer boutique, et en fermant boutique, jamais on n'aurait pu avoir Christophe (Rochus), Steve (Darcis) ou David (Goffin) auxquels personne ne croyait. S'il y en a deux dont on pouvait prédire comme une évidence qu'ils y arriveraien,t ce sont bien Olivier (Rochus) et Justine (Henin), pourtant nombreux étaient ceux qui pensaient qu'ils ne réussiraient pas. Il faut beaucoup de patience. Certains vont devenir grands de taille, d'autres sont plus techniques ou ont un peu plus de mental. Il faut essayer de les encadrer, de créer une mentalité exemplaire, continuer leur formation technico-tactique, les amener dans les tournois, avant de pouvoir constater que certains émergent alors que d'autres ne tiennent pas. 

Q. Après trois ans et demi à la direction technique, avez-vous le sentiment d'avoir mis en place la politique sportive que vous appeliez de vos voeux ?

Th.V.Cl. D'une part, il s'agit d'un travail collectif à la direction sportive, avec Olivier Davin et Steve Darcis. D'autre part, c'est un domaine dans lequel il faut aussi savoir constamment s'adapter. Mais je pense que beaucoup de choses ont bougé dans le bon sens, et que maintenant, il y a réellement une politique sportive claire et aboutie, à évaluer avec le temps, mais du temps il en faudra puisqu'on est parti des plus petits. A la base, la première chose est de bien connaître le milieu avec lequel on travaille, ainsi que les moyens sur lesquels on peut compter, humains, financiers, infrastructures. La deuxième est de mettre des valeurs sur la table, comment développer des talents en étant le plus honnête moralement parlant, en trouvant le juste équilibre entre les coûts, les études, et les volontés personnelles au niveau familial. Enfin, le troisième point est qu'une fédération ne peut pas pondre des talents, cela n'existe pas. Elle est là pour les accueillir, avec une stratégie, avec les meilleurs hommes aux meilleures places, pour être les meilleurs possibles si un vrai talent passe. Et je pense qu'à tous niveaux, technique ou administratif, on est gâté dans la petite  équipe AFT. De grosses machines de guerre comme les fédés françaises, britanniques ou italiennes possèdent un tel vivier qu'elles peuvent se permettre de sélectionner, de trier les talents sur le volet, alors que nous sommes en Wallonie, avec peu de terrains et peu de gens, constamment en recherche de qualités à exploiter et développer. On pourrait dire que nous sommes une sorte de service public, payé par la communauté pour travailler le haut niveau du tennis. Nous n'oeuvrons pas pour nous, mais pour les autres, surtout pour les enfants.  


 

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