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Philippe Dehaes : "Heureux que Kirsten ait bien joué... et se soit fatiguée à Nuremberg"

Le deuxième tour entre Kirsten Flipkens et Daria Kasatkina, ce mercredi, sera un peu particulier dans la mesure où le coach de la Russe, 14e mondiale, n'est autre que notre compatriote Philippe Dehaes, qui a déjà entraîné Xavier Malisse, Kristof Vliegen ou Maryna Zanevska et qui est aussi titulaire du poste de directeur de l'école de tennis de Wavre. Rencontre sous le court Suzanne Lenglen. (Photo EPA: Daria Kazatkina)

"Pas obligé d'avoir l'air austère""

Q. Philippe, cela ne se passe pas trop mal avec une des jeunes (21 ans) les plus talentueuses du circuit féminin (deux finales à Dubaï mais surtout au Masters 1000 d'Indian Wells), le choc des cultures donne apparemment de bons résultats.

R. Il a quand même fallu un temps pour que tout se mette en place comme je l'espérais et que l'on trouve le bon rythme. Durant trois ans, elle avait eu un coach slovaque très dur, très fermé, qui décidait de tout, qui estimait que son expérience le justifiait. En Russie, on pense que l'apprentissage doit se faire dans les larmes et le sang. Mon approche est complètement différente, il a fallu qu'elle accepte ça, et son entourage aussi, notamment son frère qui est un peu son père et sa mère sur le circuit, un socle familial qui gère l'intendance. Je pense avoir trouvé ce qu'elle aime. On passe des milliers d'heures ensemble, alors si on ne peut pas s'amuser un peu... on n'est pas obligé d'avoir l'air austère et de s'ennuyer. Travailler sérieusement sans se prendre au sérieux, comme disait Julien Hoferlin.

"Trois premiers tours"

Q. Cette approche différente consiste en quoi ?

R. Je ne suis pas partisan des méthodes immuables, mon crédo c'est d'être à l'écoute de l'athlète, de lui donner de l'autonomie, de l'indépendance, je trouve que c'est important. Après sa finale à Indian Wells, elle s'est dit "c'est bon, je suis dans les dix meilleures mondiales, ça va aller", elle s'est un peu moins entraînée, a pris un dessert en plus, elle qui adore manger... j'aurais pu la coller au mur, j'ai préféré la mettre en garde, lui rappeler que pour l'endurance sur terre battue il valait mieux mettre les bouchées doubles. Quand elle s'est faite sortir trois fois au premier tour, c'est elle qui m'a dit "on s'y remet". Un mal pour un bien. Elle est jeune, ça vaut le coup de faire trois premiers tours si elle comprend pourquoi et que cela n'arrive plus après.

"Plus d'énorme talent intrinsèque chez les filles"

Q. Kirsten Flipkens voit en Daria Kasatkina une future gagnante de Roland Garros...

R. Je sais. Kirsten aime beaucoup son jeu, elle a même déclaré qu'elle serait numéro un. Daria commence à comprendre qu'elle a le tennis pour la terre battue, le problème c'est qu'à part Madrid et Rome, où les meilleures se retrouvent et où on peut aussi sortir vite si ça se met mal, il n'y a pas beaucoup de tournois pour se préparer à Roland Garros. N'oublions pas non plus que son meilleur résultat en Grand Chelem pour l'instant est un troisième tour ici. Il lui manque de l'expérience, du vécu, elle a besoin d'un peu de temps, d'un autre côté tout est possible sur le circuit féminin actuel, personne ne domine. Intrinsèquement, elle peut aller très loin. Quand on regarde ses victoires depuis le début de la saison, elle a battu quasiment toutes les Top 10. Qu'est-ce qui fait que ce soit aussi ouvert chez les filles ? Elles travaillent toutes, elles ont toutes le même niveau, mais il n'y a plus d'énorme talent intrinsèque comme précédemment. Daria a vraiment du talent, mais en a-t-elle autant que Justine, par exemple, qui travaillait tout autant ?

"C'est dans la tête qu'elle doit le plus s'améliorer"

Q. Vous avez fait le buzz sur les réseaux sociaux en venant à la rescousse de votre joueuse sur le banc à Dubaï en début d'année et en la reboostant avec des mots rares dans son match contre Johanna Konta : "On n'est pas bien ici ? Le temps est magnifique, il y a plein de monde... on peut encore rester deux heures, non ? Tu es tout près, si tu crois en toi tu sais que tu peux le faire, vas-y championne!"

R. Je ne vais pas énumérer les domaines dans lesquels Daria peut encore progresser tennistiquement. En revanche, je sais que, sur un match, le plus important c'est le mental, arriver à gérer le moment présent de la manière la plus productive avec ce que l'on sait faire. C'est surtout dans la tête que cela se joue, et c'est peut-être le secteur qu'elle doit le plus améliorer. Les finales qu'elle a disputées avec moi c'est à ce niveau-là qu'elle les a perdues. Elle y travaille, avec un psychologue russe - y compris par hypnose, même à distance - qui cherche à faire ressortir toutes les expériences positives du passé pour qu'elle s'y ouvre au bon moment. J'ai apprécié ce qu'elle a dit après qu'elle m'ait appelé sur le court lors de son match contre Muguruza à Madrid : "Je ne sais plus trop ce qu'il m'a raconté, mais je me souviens de l'énergie qu'il dégageait." Vous savez, ce sont les bons joueurs qui font les bons entraîneurs, pas l'inverse.

"Flipkens peut vous endormir"

Q. Bon, venons-en à ce deuxième tour un peu belgo-belge...

R. Je suis content que Kirsten Flipkens ait bien joué à Nuremberg la semaine dernière... et soit arrivée ici fatiguée. Je vais bien sûr appuyer là-dessus. Kirsten est super talentueuse, elle peut vous endormir avec son slice, et Daria sait qu'elle va s'en prendre, qu'elle doit jouer dans le revers, attaquer les balles un peu courtes. Il ne faut pas faire l'hypocrite, Kasatkina est clairement favorite, mais cela ne signifie pas qu'elle va gagner.

"Neuf jours en Belgique cette année"

Q. Vous relevez là un beau défi ?

R. Sportivement, c'est même extraordinaire, mais c'est également difficile pour l'homme de famille que je suis. Heureusement, j'ai une femme encore plus extraordinaire qui, elle, relève le défi à la maison, avec les enfants, pour je puisse aller au bout du mien. Elle a pu venir un peu avec moi ici, mais en gros, comme ma joueuse s'entraîne soit à Barcelone, soit en Slovaquie, j'ai dû résider neuf jours en Belgique cette année. Combien de temps, cela va-t-il durer ? On verra au bout de la saison, en octobre, si Daria a envie que la collaboration se poursuive. Dans le cas contraire, je retourne diriger l'école de tennis de Wavre riche d'une intéressante expérience de plus.
 

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