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L'avis du secrétaire général Pierre Delahaye sur la réforme voulue par la fédération internationale

 "Ce ne serait en tout cas plus la Coupe Davis"

L'annonce de la réforme de la Coupe Davis, telle qu'ébauchée par le Board de la fédération internationale (ITF), a provoqué cette semaine des commentaires en sens très divers. Parmi les sphères dirigeantes dans le monde entier, mais aussi chez les fans de tennis qui risquent d'être les laissés pour compte de la révolution annoncée. Pour rappel, l'idée est de réduire à une semaine, dès la saison prochaine, le format de la vénérable compétition. En tout cas pour les dix-huit meilleures nations qui s'affronteraient au même endroit, fin novembre après le Masters, sous forme de poules d'abord, de matches éliminatoires ensuite à partir des quarts de finale. Notre fédération a découvert le projet de réforme comme le commun des mortels, et je pense qu'il faut se garder de prendre position officiellement sans connaître la proposition dans tous ses détails, mais compte tenu des réactions enregistrées chez nous, notamment sur les réseaux sociaux, il m'a semblé opportun d'évoquer le sujet dans toute sa complexité.

Crédit écorné

Comme vous le savez sans doute, le dossier apparaissait d'autant plus épineux, pour ne pas dire insoluble, que l'ITF (organisatrice de l'épreuve) et l'ATP (l'association des tennismen professionnels) ne sont plus sur la même longueur d'onde depuis des lustres. Qu'il s'agisse de l'harmonisation d'un calendrier de plus en plus étouffant, tenant si peu compte de la Coupe Davis, ou de l'attribution de points au classement mondial dont elle se trouve privée. Il faut dire les choses telles qu'elles sont : s'ils sont souvent motivés à la gagner au moins une fois, pour eux et pour leur pays, les meilleurs joueurs, gâtés sur le circuit, se plaignent que cette Coupe Davis dévore trop de temps et d'énergie dans le tennis moderne, tout en rapportant peu d'argent, et surtout aucun point ATP ce qui me paraît effectivement aberrant. Ils finissent donc par la délaisser, ou au mieux à la disputer à la carte, ce qui dévalorise une compétition dont le crédit se trouve de plus en plus écorné... même si paradoxalement - on l'a vu chez nous - le public y vibre encore comme nulle part ailleurs lorsque les circonstances s'y prêtent. On a vécu des moments inoubliables.

Situations financières différentes

Au niveau des fédérations, la situation financière est également différente de l'une à l'autre. Les plus puissantes, notamment celles qui bénéficient des retombées d'un Grand Chelem, disposent de plus de moyens, et, comme la France, peuvent offrir à leurs vedettes une part importante de la recette d'une finale attirant 75.000 personnes sur trois jours. En revanche, des pays comme la Suisse et la Belgique doivent arriver en demi-finale pour espérer que la campagne soit rentable. Si ce n'est pas le cas, ils perdent systématiquement de l'argent. La Coupe Davis a souvent été un motif de fierté pour nous, mais, à deux ou trois événements exceptionnels près, elle a plus contribué à mettre à mal la trésorerie fédérale qu'à remplir les caisses. Voilà pourquoi le plus grand soutien des joueurs à une Coupe Davis traditionnelle vient de France ou d'Australie, et pourquoi de plus petites fédérations - je ne parle pas de la nôtre - seront peut-être moins enclines à refuser le changement si elles en tirent bénéfice, notamment financièrement, quel que soit leur attachement à la prestigieuse institution. J'ajoute qu'on a tous intérêt à pouvoir aligner nos meilleurs représentants sous le maillot national, et donc à chercher la formule offrant le plus de chances que ce soit le cas.
 
Sur deux ans ?

Le format imaginé par l'ITF est-il le bon, et y a-t-il une formule magique pour sortir de la crise existentielle que vit la Coupe Davis ? C'est une autre histoire. De toute manière, quoiqu'on en pense, on devra se soumettre à la décision qui sera prise lors de l'assemblée générale de l'ITF à Orlando mi-août par une majorité des deux tiers, même si ce n'est pas celle qu'on aurait souhaitée. Je trouverais triste moi aussi qu'une aussi charismatique compétition, 118 ans d'histoire du tennis, se trouve dénaturée, défigurée. Je préférerais, comme notre président André Stein l'a laissé entendre, une Coupe Davis sur deux ans, mieux rétribuée en prize money et en points ATP, ce qui permettrait encore aux gens de voir de temps en temps jouer leur équipe nationale chez elle, sans trop surcharger l'agenda des joueurs. Ce pourrait encore être un consensus acceptable pour tous, j'ose l'espérer. Pour l'heure, au niveau international, c'est peu dire que les avis sont partagés, y compris entre les joueurs, en gros ceux qui appellent à concentrer tout sur une semaine et ceux qui ne veulent pas se voir privés de la possibilité de disputer ce genre de matches devant leur public. 

Une poignée de supporters

Bien sûr, qu'on le regrette ou non, on est à l'heure du sport business, il ne sert à rien de nier l'évidence, et le patriotisme est malheureusement condamné à finir au placard, ou du moins à être relégué au second rang des préoccupations individuelles. Or, dans la nouvelle formule, si j'ai bien compris, il y aura tout d'un coup beaucoup d'argent sur la table. Suffisamment même pour que des stars du circuit cautionnent une démarche qui placera, tous les ans, les meilleurs de dix-huit pays dans la situation que nous avons nous-mêmes connue deux fois en trois ans en tant que finaliste, c'est-à-dire qui prive le joueur d'une véritable préparation foncière, pourtant nécessaire, en hiver. Et, là, je me pose des questions. On se plaint quand il n'y a pas d'argent, on ne se plaint plus quand il y en a ? Quant aux nations ne figurant pas parmi les 18 (cela peut nous arriver), qui continueront à disputer leurs rencontres sur le mode traditionnel, abandonnées à leur sort, qui s'en préoccupera ? Un tennis encore plus à deux vitesses, les riches plus riches, les pauvres plus pauvres ? On ne voit pas encore de réponses claires à ces questions dans ce qui a été évoqué. La seule certitude à mes yeux c'est que si le projet passe, on ne pourra plus parler de Coupe Davis, cela n'aura plus rien à voir. Y compris pour les fans. Quid du succès populaire ? Les belles ambiances "à la maison" seront à ranger dans le tiroir aux souvenirs. S'il y aura à peine une quinzaine de supporters belges à Nashville en avril pour le quart de finale aux Etats-Unis, imaginez combien il y en aurait durant une telle semaine fin novembre à Shanghai ou Dubaï.

 

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